Biographie


Glaneurs

Entre passé, présent et à venir

À travers ses différentes missions, une institution de conservation du patrimoine collecte, gère, rend accessible et met en valeur ce patrimoine culturel que lui ont progressivement confié les générations qui se sont succédées à un niveau local, régional ou national. Contrairement à une idée répandue, ce patrimoine n’est pas un trésor inaccessible. Au contraire, chacun d’entre nous peut se l’approprier pour mieux connaître son passé et son histoire. Tel est le sens de la démarche du chanteur Marc Aymon.

Ses recherches au cœur des archives lui ont permis de découvrir, petit à petit, un univers dont il ne soupçonnait pas forcément l’existence : les livrets de chansons de nos parents, de nos grands-parents, de nos arrière-grands-parents. A ensuite germé en lui l’idée de compléter ce corpus initial et de lancer, à l’automne 2019, l’expérience Glaneurs ; une campagne de collecte du patrimoine poétique et musical suisse des cent cinquante dernières années auprès d’un large public. Au final, la moisson s’est révélée riche de plusieurs centaines de documents et s’est étoffée de recueils de chants, de partitions originales, de manuscrits, de livrets de paroles et d’enregistrements audio. À la clé, une véritable plongée, sous forme d’instantanés, dans l’intimité musicale d’un individu, d’une famille, d’une école, d’une société de chant ou d’une communauté, de 1850 à nos jours. Afin d’y célébrer les joies de l’existence, d’y narrer les vicissitudes de l’amour ou d’y évoquer les épreuves de la vie. Comme un rappel de la permanence des émotions et des sentiments humains, au-delà des générations.

Prenant le contre-pied de son projet Ô bel été ! Chansons éternelles, interprété seul, Marc Aymon s’est entouré, pour l’occasion, de Xavier Michel, historien et chanteur du groupe Aliose, du multi-instrumentiste et réalisateur musical Frédéric Jaillard, ainsi que de nombreux amis artistes, auteurs, compositeurs et interprètes. C’est donc une expérience totalement inédite qui s’est déroulée au centre culturel Les Arsenaux à Sion et au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne – MCBA, en décembre 2019. Un véritable laboratoire a été créé in situ, mêlant documents, instruments de musique et microphones d’un studio d’enregistrement éphémère, dans une ambiance propice à l’expérimentation. Durant quinze jours, les Glaneurs ont ainsi dépouillé les différentes sources collectées à l’automne et y ont découvert de véritables pépites qu’ils ont réinterprétées de manières originales, mises en musique ou en chansons. Venus pour quelques heures ou pour toute la durée du projet, les invités Aliose, Julie Berthollet, Carrousel, Jérémie Kisling, Michel Bühler et François Vé ont ainsi passé ces chansons et ces lectures au crible, pour mieux se les réapproprier et en proposer une interprétation contemporaine et résolument… dépoussiérée !

Souhaitant permettre au public d’assister en direct au processus de création, Marc Aymon a demandé à l’artiste contemporain Maximilien Urfer de retransmettre l’expérience Glaneurs sur grand écran, pendant plus de cent vingt heures et avec trois caméras changeant d’angle toutes les seize secondes, au centre culturel Les Arsenaux à Sion et au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne – MCBA.

Le projet Glaneurs se présente désormais comme un fruit de quinze chansons et poèmes patiemment mûri aux talents de chaque invité, dont les artistes Milla, Pascal Auberson, Henri Dès qui ont rejoint l’aventure, le tout magnifiquement éclairé par les dessins d’Albertine. De mon point de vue, il illustre parfaitement toute la chaîne de valeur patrimoniale qui débute par la phase d’identification et de collecte des sources, se poursuit par les étapes de traitement et de conservation et se termine par la mise en valeur et l’appropriation par un large public. Il va même encore plus loin : en véritables passeurs de patrimoine, les Glaneurs nous permettent en effet, à travers la musique et la chanson, non seulement de nous relier aux générations qui nous ont précédés et de raviver sans doute chez certains d’entre nous de précieux souvenirs, mais surtout de créer un nouvel objet patrimonial pour les générations actuelles et à venir. Et au final, grâce à eux, nous découvrons que les archives peuvent à la fois susciter des émotions, favoriser la rencontre et le partage et surtout générer une forme de communion au-delà des générations. N’est-ce pas là un merveilleux cadeau en ces temps si troublés ?

Alain Dubois
Archiviste cantonal